Après avoir parcouru les royaumes de l’Ordre Céleste, après avoir franchi le Mur pour renifler l’haleine des gobelins, il est temps de vous parler de ce qui fait vibrer le cœur des bushis. Les champs de bataille ! On va donc vous parler aujourd’hui de Fields of Victory, dernier complément sorti à ce jour dans la gamme L5R en VO. Sortez donc vos armures et allez embrasser vos ancêtres parce que tout le monde ne reviendra pas !
Fiche technique
Éditeur : Fantasy Flight Games
Pagination : 144 pages
Résumé : Fields of Victory contient trois chapitres débordant d’informations sur la guerre à Rokugan, tant dans le passé que dans le présent, tout en offrant aux joueurs de nouvelles options de jeu et de construction de personnages. Le valeureux Clan du Lion a toujours été très fier de son étude de l’histoire, y compris de ses méthodes de préservation, et c’est pourquoi la plupart des informations sur les célèbres batailles de Rokugani du passé sont présentées du point de vue du Clan du Lion. Ce livre fournit aux maîtres de jeu un arsenal de règles supplémentaires, d’outils et de conseils pour mettre en scène de grandes batailles dans leurs propres campagnes ; pendant ce temps, les joueurs reçoivent de nouvelles options de personnages grâce à l’introduction du Clan du Blaireau, dix nouvelles écoles, et une variété de nouveaux titres et de techniques pour développer les personnages existants des joueurs
« C’était en plein milieu des grandes batailles que l’on goûtait aux informations claires sur l’ennemi. Akodo-sama se demandait quand même ce que venait faire le menu des troupes d’en face et s’il n’était pas temps qu’il mette au régime son maître espion. »
On va commencer par un constat que j’entrevoie au fur et à mesure des compléments : ils ont un contenu de qualité, visuellement ils sont magnifiques, mais ils manquent d’audace. Ils récitent leurs gammes mais n’innovent pas énormément et c’est dommageable surtout pour un reboot. J’ai donc parfois le sentiment que, excepté les règles, le vétéran de Rokugan ne va pas y trouver son compte. C’est d’autant plus vrai ici que même le clan mineur présenté, les Ichiro, ne change en rien de son ancienne version. Cette petite note mise à part, j’ai quand même pris du plaisir à la lecture mais, ça me trotte en tête. Ce qui manque, je pense, c’est un vrai complément de contexte avec des pistes d’évolutions de la timeline qui diffèrent de ce qui a été déjà écrit.
Sur un autre registre cependant, la bienveillance et l’inclusivité de la gamme m’ont à nouveau surpris. Aucun complément n’y déroge mais celui-ci ouvre une réflexion intéressante. La guerre, c’est mal et il n’est pas bon d’en faire son apologie. C’est idiot hein, mais le JDR plonge ses racines dans le massacre continu de monstres (Coucou Donjon). Et si, plus jeune, je ne m’inquiétais pas des familles des victimes, avec le temps mon regard a évolué et a relativisé cette mécanique. Le fait qu’un auteur prenne le temps de rappeler au MJ de voir avec ses joueurs s’ils sont d’accord de jouer une campagne belliciste, c’est une bonne chose. Et ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, dans un univers parallèle comme L5R, la guerre est une nécessité culturelle qui fait partie de l’intérêt de jouer, à mes yeux.
Les guerres et l’Histoire
« L’innovation était une chose qui n’était pas dans le cœur du clan de l’Empire. Aussi l’idée que l’on puisse, disait-il, ‘faire des tranchées pour que l’armée des canassons vienne s’écraser dedans‘, avait révulsé Seppun Miako. Seulement, elle regretta un peu de ne pas y avoir pensé deux fois au moment où une flèche vient se planter dans son épaule. »
Le premier chapitre va donc nous parler de la guerre à Rokugan à travers l’Histoire et les clans. Le chapitre se présente comme un ouvrage sur la guerre que n’importe quel général se devrait d’avoir lu. Il présente différentes batailles importantes, avec un contexte, une carte sommaire de la bataille et les enseignements à en tirer.
Le chapitre retrace les grandes batailles de Rokugan et donne un aperçu à travers ces conflits, de son histoire. Ça vous donnera un excellent aperçu de ce qui nourrit les guerres et des conséquences d’une société qui refuse l’échec et sacrifie beaucoup de choses au nom de l’honneur. C’est intéressant et ça aurait mérité, selon moi, des accroches de scénario ou même un peu plus de contexte.
Petite histoire qui m’a beaucoup plu : le retour du Clan de la Licorne à Rokugan et sa chevauchée jusqu’au nord de l’Empire. Ces gars ont franchi l’Outremonde, causé une brèche dans le Mur des Crabes, aplati des Scorpions sur le chemin et étaient à ça de mettre une dérouillée totale aux Lions. Et surtout, je veux faire un scénario où mes joueurs sont des scribes qui doivent franchir les lignes de guerre pour prévenir les deux généraux ennemis qu’ils n’ont plus le droit de se faire la guerre parce qu’en fait le clan de la Licorne est maintenant reconnu par l’Empereur !
Vient ensuite une liste des armées des clans majeurs avec leurs forces et faiblesses. Cette partie est fort lacunaire. Alors oui il y a des évidences sur les spécificités de chaque clan, mais aucune que je n’aurais pas pu trouver tout seul. Ça peut aider le lecteur novice, je suppose.
Le Lion dans toute sa splendeur
« Otomo Kenji soupira. Des gens qui en insultent d’autres, c’était fréquent et cela faisait même partie des traditions. Mais insulter quelqu’un juste avant de le décapiter avec un plateau de service aux couleurs de sa famille, c’était une première. Ca et le fait que la famille Matsu ait porté plainte parce que le samurai coupable de l’exaction s’était blessé la main sur le tranchant du-dit plateau. »
Du côté du clan du Lion, le livre parcourt l’histoire de chacunes des familles qui composent le clan. On y retrouve les quatre familles historiques de la gamme. Les honorables et tacticiens Akodo, les particulièrement belliqueux Matsu, les énigmatiques Kitsu et les poètes Ikoma. Le nouveau lecteur devrait apprécier sa lecture. Les familles sont bien typées et on a envie de toutes les jouer à la fin. Pour le lecteur plus aguerri, on trouvera ici et là des détails qui viendront raviver nos souvenirs et nous aider à voir le clan du Lion autrement.
Exemples :
Akodo (le fondateur) était fidèle à l’Empereur mais lui reprochait ses penchants philosophiques. Il ne goûtait guère au Petit Maître, fondateur de la pensée dominante de l’Empire, dont il jugeait que les écrits affaiblissait l’esprit du guerrier. L’Empereur lui ordonna de disposer dans chacun de ses dojos un exemplaire du « Tao de Shinsei », ordre auquel se plia Akodo. Des siècles plus tard, la famille en tire une immense fierté. Dans chaque dojo, il y a bien un exemplaire de l’ouvrage mais dans aucun n’a jamais été ouvert. Têtu, fier mais loyal… Je les aime ces Akodo !
Il y a aussi, le passage qui vous explique que seule la famille Ikoma a le droit d’exprimer des émotions lorsqu’elle narre une histoire par respect pour son fondateur et sa vie un peu dissolue. Cette anecdote met en valeur l’art de la famille Ikoma et permet au MJ, comme aux joueurs, de l’introduire facilement dans ses histoires.
Il y a, enfin, une réflexion sur l’Histoire écrite de Rokugan et du rôle des Ikoma de chroniques officielles. Ce passage est très important et devrait parler à tous. On aborde (et c’est très intéressant) la subjectivité des archives impériales, sur le fait que la famille Ikoma a volontairement modifié l’histoire que ce soit pour préserver l’honneur des belligérants ou sur ordre de l’Empereur pour cacher ses échecs. C’est la première fois qu’un complément aborde frontalement le côté impérial et hypocrite de la société rokuganaise dans cette édition. Plus largement, c’est rappeler aux lecteurs que l’histoire est écrite par les vainqueurs.
L’ouvrage va même plus loin en rappelant que ce peuple n’est pas le premier qui a foulé le sol de Rokugan, et que c’est aussi une piste de campagne. Dommage que dans Path of Waves, on ait préféré aborder les gaijins lointains plutôt que ceux qui vivent à côté de Rokugan. La réflexion devra attendre un prochain complément ou un MJ inventif.
« Ils étaient les défenseurs de l’Empire, ils étaient les maîtres incontestés du Sumai. C’était vraiment juste dommage qu’ils habitassent dans les montagnes tout au nord de l’Empire, parce que sinon, on en parlerait plus souvent. »
Dernier chapitre sur le background, la présentation du sous-estimé clan du Blaireau.
Imaginez quelque part dans les montagnes du Nord, premier rempart contre ces avec les vils envahisseurs yobanjins, un clan humble ayant juré de défendre l’Empire… La famille Ichiro du clan du Blaireau !
Soyons honnêtes, j’adhère totalement à cette famille. Ils ont un rôle militaire fondamental, ils ont le courage d’affronter leurs ennemis dans un milieu hostile dont ils connaissent toutes les astuces, ils ne demandent rien à l’Empereur comme aide et ils produisent une soie des plus pures. En retour, ils ne reçoivent absolument rien, si ce n’est un mépris distant ou une gêne à peine voilée des autres clans de l’Empire.
Même les fiers courtisans de la Grue refusent d’acheter la soie directement aux Ichiro et préfèrent passer par des intermédiaires, par principe. Et malgré ça, ces gars continuent à faire ce qu’ils ont juré de faire.
Vous en voulez plus ? Chaque année les Ichiros organisent un concours de Sumai (lutte Sumo) où ils invitent tous les clans à se mesurer à eux. Personne ne vient, officiellement parce que c’est loin et que c’est un clan mineur. Officieusement parce que la famille Ichiro domine la compétition. Et pourtant ils recommencent le tournoi l’année suivante, faisant fi de l’absence d’opposants.
Encore une petite couche ? Ils utilisent les tambours de guerre pour communiquer à travers les montagnes. Et bien ces mêmes tambours sont devenus part entière de leur culture et se retrouvent jusque dans leurs danses. C’est sûr que ce n’est pas à la cour de l’Empereur qu’on danse au rythme saccadé de ces instruments !
Chapitre qui m’a donc beaucoup plu, l’historique est complet, clair et les spécificités comme évoquées sont parfaites.
Dernier passage obligé, les nouvelles règles.
« Glorieux Empereur, votre brillante stratégie n’était pas un échec. C’est juste qu’elle n’a pas marché. »
Ici on propose des règles sur les combats de masse, règles qui auraient dû (selon moi) être déjà présentes dans le livre de base.
Le jeu vous donne une échelle de puissance des armées ainsi que des détails sur la vitesse de recrutement des troupes et la difficulté à sa levée. Ensuite elles vous proposent différents types d’unités ainsi que les spécificités que vous pouvez y ajouter. Pas d’armée toute faite, il faudra vous référer au chapitre sur les armées des différents clans pour finaliser les forces en présence. Le côté modulable reste appréciable et permet d’intégrer (par exemple) des clans mineurs.
On clôt la gestion des armées par un système d’usure qui viendra vous rappeler pourquoi avoir une armée permanente est un privilège du Lion. Il y a aussi un encart sur l’intérêt de faire des otages pour renflouer ses caisses. Pas d’information sur la rançon d’un Empereur, c’est sans doute tabou dans Rokugan !
Quant aux règles de champs de bataille, elles devraient trouver preneur. Une carte est dessinée par le GM, cette dernière est divisée en zones (avec des types de terrain comme : plaine, montagne, rizière, etc.) sur lequelles se déplaceront les différentes unités lors du combat. Il y a un côté tactique dans l’idée d’aller chercher l’adversaire sur des terrains favorables ou cacher ses troupes pour choper le général d’en face ni vu ni connu.
Enfin, on trouve des propositions de campagnes à thème militaire. Propositions honnêtes qui auraient mérité d’être directement inspirées de la partie histoire du complément.
Fin de chapitre sur le florilège de titres et autres nouvelles classes. Je ne suis toujours pas plus fan de ce côté fourre-tout mais je suis content d’avoir retrouvé les Légions Élémentaires du Phoenix, les Chercheurs de Mort Matsu et le fameux Kensei, incarnation du Kenjutsu dans Rokugan.
En bref
Fields of Victory est un excellent livre si vous n’êtes pas familier avec l’univers du clan du Lion. Il devrait vous apprendre pas mal de choses et la partie règle devrait vous proposer une autre façon de jouer à L5R.
Si vous êtes vétéran, la partie règle reste d’actualité mais niveau contexte, ce sera moins l’épiphanie. Reste une qualité d’écriture et des détails que vous devriez apprécier.
Un complément qui n’a pas à rougir de ses aînés, mais interroge sur la volonté derrière le reboot si ce n’est de rajouter de jolis dés !